Contribution : Éclairage sur l’Agression impérialo-portuguaise du 22 novembre 1970 (Par Khalil Kaba)

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« Nul ne peut effacer l’histoire d’un peuple car un peuple sans histoire est un monde sans âme » . Alain FOKA.

La date du 22 novembre de chaque année qui marque l’agression impérialo-portuguaises donne toujours l’opportunité de parler et de célébrer un pan important de l’histoire de notre pays. L’héroïsme dont le peuple de Guinée a fait preuve dans ces moments de son existence est aujourd’hui étudié et venté partout en Afrique et dans le monde. Le Portugal et la France avec la complicité active de certains exilés politiques guinéens qui avaient élu domicile à Paris ou dans les pays limitrophes de la Guinée se sont lamentablement cassés les dents devant la détermination d’un peuple à préserver par tous les moyens son souveraineté et son intégrité territoriale.

  1. L’agression

Dimanche 22 novembre 1970, 2 heures du matin, au large de Conakry. Six bateaux de couleur grise, sans immatriculation, mouillent près des côtes de la capitale guinéenne par une nuit de pleine lune. Un temps idéal. À leur bord, les chefs politiques d’un gouvernement provisoire et quelque 400 hommes, puissamment armés, attendent les ordres… Le commandant du Centre des opérations spéciales du Portugal, Alpoim Calvao (son vrai nom est Carvalho), va alors lancer l’opération « Mar Verde ». En moins d’une heure, les soldats, habillés de treillis semblables à ceux de l’armée guinéenne, débarquent en plusieurs groupes. Ils coupent le courant à la principale centrale électrique de la ville et occupent plusieurs endroits stratégiques. Objectifs : la libération de prisonniers de guerre portugais, la capture du leader charismatique du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), Amilcar Cabral. En deuxième lieu, l’élimination du régime révolutionnaire de Guinée avec son Président Ahmed Sékou Touré qui, depuis le 28 septembre 1958 est devenu l’homme à abattre pour l’ancienne puissance coloniale françaises et ses dirigeants.

  1. Résistance populaire

Une milice organisée et armée, venue soutenir les militaires guinéens est défendue par de nombreux Guinéens, témoins des évènements. « On était tous armé. Il y avait des armes dans les universités. Les étudiants de Polytechnique par exemple ont contribué à la libération du Camp Boiro. L’agression a ainsi été jugulée. Les miliciens étaient dans la rue de jour comme de nuit, les militaires aussi étaient sur le terrain », justifie Ismaël Condé.

Selon Alata, « Ce n’est que vers dix heures que la résistance s’organisera réellement, sous l’impulsion de Diop Alassane qui se dépense sans compter. Il commencera alors à recevoir les premiers éléments du bataillon de Kérouané du lieutenant Sidi Mohamed et de celui de Labé du capitaine Mara Khalil. »

Après l’appel radiophonique du président Sékou Touré, dans les régions, la résistance s’organise. Dalaba, dans le Fouta Djalon, à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale, se mobilise : « quarante miliciens ont été envoyés à Conakry très rapidement pour soutenir les militaires guinéens» se souvient Mamadou Morou Sow, ancien responsable du comité régional de la Jeunesse de la révolution démocratique africaine, en charge de la milice. Le responsable se rend au magasin avec le commandant de bataillon, Facinet Touré. « On a sorti 80 armes et munitions et nous avons continué à faire appel aux miliciens. Le commandant les a formés sur le tas en cas d’attaque. Le lendemain, nous sommes allés dans les sous-préfectures pour renforcer l’organisation de la milice des arrondissements pour se prémunir d’une invasion. » Des efforts restés vains car la localité de Dalaba n’a jamais été attaquée.

À la frontière entre le Sénégal, la Guinée Bissau et la Guinée en revanche, des attaques ont bien eu lieu. Après le 22 novembre, un compte-rendu retrouvé au service historique de la Défense, fait état d’incidents dans le nord du pays, entre Koundara et Gaoual. « Des Guinéens ont cherché refuge en territoire sénégalais, ils ont déclaré que des fonctionnaires guinéens auraient rallié le FLNG ». Ces incidents sont confirmés par un douanier que RFI a pu rencontrer. Il était en poste à la frontière entre la Guinée et le Sénégal, à proximité de Koundara. « Le jour de l’attaque à Conakry, nous les douaniers, avons renforcé l’armée présente à Koundara, à hauteur de 40 personnes. La nuit, l’artillerie a répliqué, nous avions une force de résistance alors les adversaires ont envoyé une fusée blanche pour demander le cessez-le-feu. Ils ne pouvaient pas répliquer », raconte Elhadj Mamadou Alpha Diallo. Un autre rapport français estampillé confidentiel-défense fait état de la « confusion » qui règne dans le pays et aux frontières en confirmant que des ratissages se perpétuaient dans la région de Koundara. En conséquence, « les autorités sénégalaises de Casamance ont signalé que de nombreux soldats et miliciens de Conakry demandent asile à la frontière ; elles les accueillent après les avoir désarmés. »

  1. La solidarité internationale envers le peuple de Guinée L’agression démontra aux adversaires de la Première République que la Guinée n’était pas isolée. De partout parvinrent des messages d’indignation et de soutien, des dons divers ; la communauté internationale fut presque unanime à condamner cette opération militaire comme un crime.
    L’ONU se saisit aussitôt du problème à l’appel de son représentant résident en Guinée et de celui de la Guinée aux Nations Unies

Dès le 23 novembre 1970, le Conseil de Sécurité exigea le retrait de toutes les forces d’invasion de la Guinée et décida de dépêcher une commission d’enquête qui séjourna à Conakry du 25 au 28 novembre 1970 et dont les conclusions seront rendues publiques le 5 décembre 1970.
Le 8 décembre 1970, il fit siennes ces conclusions ; après avoir situé la responsabilité effective du Portugal, il condamna, par 11 voix et 4 abstentions, « énergiquement le gouvernement portugais pour son invasion de la République de Guinée » et lui exigea de l’indemniser intégralement.

Après avoir salué et remercié les Nations Unies, le gouvernement guinéen signifia, dans une lettre du 18 décembre 1970 au secrétaire général U THANT, qu’ayant été agressée pour son soutien au PAIGC, la Guinée n’acceptera qu’une seule réparation du Portugal : la proclamation de l’indépendance de toutes ses colonies : Angola, Guinée –Bissau, Mozambique, Sao Tome et Principe.

En Afrique, différents pays firent non seulement des dons en nature et argent, mais mirent aussi leurs armées en alerte pour des interventions aux côtés de la Guinée. Des manifestations populaires de soutien se déroulèrent dans presque tous les pays.

Quant aux organisations africaines, elles soutinrent toutes la Guinée et votèrent des motions contre le Portugal.

  1. Les raisons de l’échec de l’agression

D’après les mémoires du Pr Kobele Keita et certains témoignages recueillis auprès de quelques acteurs vivants, trois raisons fondamentales expliquent l’échec de cette agression barbare:

  1. Le manque d’informations précises et fiables sur les principales cibles (la position des MIGS, la radio, les principaux responsables guinéens et du PAIGC, Ahmed Sékou Touré et Amilcar Cabral en particulier).Dans ses ouvrages et interventions publiques le chef des opérations portugais Alpoim Calvao défend avec constance : « Ce sont les renseignements portugais qui ont failli » affirme-t-il, « près de 30% de nos informations étaient inexactes.
  2. Le manque de soutien pourtant promis par le FNLG et attendu des complices intérieurs ; selon Alpoim Calvao « ils nous avaient assurés qu’ils avaient des appuis internes actifs ».Or, très peu de ceux-là ont osé exhiber le brassard vert, signe distinctif des partisans intérieurs des agresseurs; même ceux qui s’étaient agglutinés autour du président Ahmed Sékou Touré au Palais de la Présidence, face à la réaction populaire, après quelques heures de surprise et d’effroi, étaient presque tous 6h tétanisés ; tous eurent peur d’agir et n’avaient , pour seuls soucis, que l’affirmation de leur patriotisme, de la sincérité de leur loyauté et de leur fidélité au PDG-RDA et à son secrétaire général.
  3. La troisième cause de l’échec serait le manque de cohésion qui sévissait au sein de l’opposition guinéenne, du FNLG en particulier.

Au finish la Guinée connue un total de 500 martyrs tombèrent sous les balles ennemies. Obliger de reconnaître sa forfaiture, le Portugal prit l’engagement solennel de réparer le préjudice causé au jeune État révolutionnaire de Guinée. Mais fidèle à sa dignité, Sékou Touré et ses compagnons refusèrent cette option. En contre partie, ils sommerent le Portugal de libérer tous les territoires africains places sous leur joug notamment la Guinée Bissau, l’Angola, Sao Tomé et Principes. Cette réaction plus que surprenante des autorités guinéennes fut saluée à sa juste valeur par tous les pays épris de paix et de liberté dans le monde.

Khalil Kaba

Sociologue

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