Journée internationale des Droits de l’Homme en Guinée : déclaration des organisations et associations de défense des Droits de l’Homme

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CELEBRATION DE LA JOURNEE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME, LE 10 DECEMBRE 2020 EN REPUBLIQUE DE GUINEE

DÉCLARATION DES ORGANISATIONS ET ASSOCIATIONS DE DÉFENSE DES DROITS HUMAINS

Excellence M. le Premier Ministre, Chef du gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Représentants des Institutions républicaines ;

Excellences Mesdames, Messieurs les membres du corps diplomatique ;

MM les représentants du système des Nations Unies et des institutions internationales ;

Distingué.e.s invité.e.s, en vos rangs et titres respectifs ;

Chers défenseur-e-s des droits humains ;

Adoptée le 10 décembre 1948 par les Nations Unies, quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme s’impose aux Etats.

A l’occasion de son 60ème anniversaire, M. Ban Ki-Moon, alors Secrétaire Général des Nations Unies, déclarait « …Les auteurs ont rédigé un document qui, pour la première fois, énonçait des droits universels pour tous, dans un cadre individuel. » « … Il est de notre devoir de veiller à ce que ces droits soient une réalité, de façon que chacun, où qu’il soit, puisse les connaître, les comprendre et en jouir. C’est souvent ceux qui ont le plus besoin que l’on protège leurs droits individuels qui ont aussi besoin de savoir que la Déclaration existe, et qu’elle existe pour eux ».

Si le rôle premier, de faire de cette Déclaration une réalité, revient aux Etats membres des Nations Unies, qui ont les obligations de respecter, de protéger et de réaliser les droits humains pour tous et toutes, la société civile, porte-voix des communautés à la base a également un rôle essentiel à jouer pour faire connaître les droits consacrés par la Déclaration et veiller à leur respect par les Etats.

En Guinée, cette année, la célébration du 72ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme intervient dans un climat post électoral inquiétant alors que toutes les élections ont été marquées par des violences engendrant des violations et atteintes aux droits humains qui se sont traduit par des pertes en vies humaines, des blessés, des arrestations et détentions arbitraires, un harcèlement judiciaire continu contre les opposants à un changement de Constitution et à un 3ème mandat, l’interdiction d’exercer le droit de manifestation, des entraves aux libertés d’expression et d’information à travers la limitation de l’accès à internet particulièrement les réseaux sociaux pendant la période électorale, ainsi que des poursuites judiciaires contre les hommes de médias.

En outre, les violences faites aux femmes et aux filles restent préoccupantes, particulièrement les violences sexuelles et viols sur enfants, mais aussi dans le contexte du Covid 19 et des mouvements sociaux, qui ont démontré la vulnérabilité accrue de ces dernières en période d’instabilité sociale, politique et économique. Nous retenons entre autres, les nombreuses filles tombées sous des balles perdues et une femme utilisée comme bouclier humain. Nous saluons aussi le travail de l’OPROGEM (Office pour la Protection du Genre, des Enfants et des Mœurs) malgré des moyens limités et demandons qu’ils continuent de poursuivre les auteurs sans relâche afin que l’impunité, face à ces crimes, cesse.

A cela se sont ajoutées d’autres violences, entraînant de graves violations et atteintes aux droits humains, à l’occasion des contrôles de renforcement des mesures de prévention contre le COVID 19. Des citoyens sont victimes d’extorsions et autres types de harcèlement par les forces de sécurité installées au niveau de certains barrages pour faire respecter les mesures instaurées. C’est le cas notamment à Coyah et à Dubréka au mois de mai 2020.

Nos Organisations et Associations avaient salué l’annonce d’ouverture d’enquête par les autorités pour faire la lumière sur ces cas suite aux dénonciations et à l’indignation que cela a suscité dans la cité.

Cependant, nous restons préoccupées par un certain nombre de situations :

La lenteur qui caractérise la majorité des procédures judiciaires relatives aux violences enregistrées lors des manifestations contre le troisième mandat depuis octobre 2019 et les violences enregistrées à Coyah et Dubréka dans le cadre de la lutte contre le COVID 19 ;

La crise de confiance entre le gouvernement et les partis politiques de l’opposition caractérisée par la rupture du dialogue politique ;

Le retard accusé dans l’organisation du procès portant sur le dossier du 28 septembre 2009 alors que les autorités s’étaient engagées à ouvrir le procès en juin 2020 ;

La lenteur dans le processus de réconciliation nationale alors que le rapport sur les consultations de la Commission Provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale (CPRN) a été remis au Président de la république depuis juin 2016 ;

Une situation carcérale caractérisée par les mauvaises conditions de détention dans les maisons centrales et d’arrêt dues à la surpopulation carcérale entraînant des maladies et décès ;

L’existence d’un projet de loi sur les associations qui contient des dispositions portant gravement atteinte aux fondements de la liberté d’association et constituant un recul par rapport à la législation en vigueur. A cela s’ajoute la suspension de fait de la délivrance des agréments aux ONG et associations qui en expriment le besoin ;

Les violations et atteintes à la liberté d’expression et d’opinion se traduisant par le harcèlement judiciaire contre les journalistes ;

L’impunité face aux violences faites aux femmes et aux filles ;

Le maintien de la limitation de l’accès à internet particulièrement les réseaux sociaux ;

La militarisation du maintien de l’ordre ;

La recrudescence d’allégations de torture, pratique qui était pourtant bien en recul ;

Les mesures punitives infligées par les autorités aux populations infiltrées par des présumés auteurs de délits pendant les manifestations politiques.

Soucieuses de la préservation de la paix, de la quiétude sociale, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales des citoyens, les Organisations et Associations de défense des droits humains lancent un appel :

Au président de la République, garant de la Constitution, pour :

Son implication personnelle pour renouer le dialogue entre le gouvernement et les partis politiques ;

Son implication personnelle dans la lutte contre l’impunité, à travers la tenue, du procès du massacre du 28 septembre 2009 ainsi que la poursuite de tous les auteurs et commanditaires de violations et atteintes des droits humains ;

Le passage à la phase opérationnelle du processus de réconciliation nationale par la mise en place d’une Commission « Vérité, Justice et Réconciliation » conformément aux recommandations de la CPRN ;

L’effectivité de la liberté de manifestation conformément aux lois de la République ;

Le renforcement de la lutte contre la corruption sous toutes ses formes et les crimes économiques ;

Veiller à la poursuite de la réforme des secteurs de la sécurité et de la justice avec un accent particulier sur le respect des droits des humains et des règles relatives à l’usage disproportionné de la force par les forces de défense et de sécurité ;

Le renforcement de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles ;

Veiller au caractère républicain de l’administration en sanctionnant toute prise de position partisane d’un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions. La modernisation de l’administration est à ce prix.

Au Premier ministre, Chef du gouvernement pour qu’il :

S’engage et s’implique dans le dialogue politique et social conformément au mandat que lui confère la Constitution et qu’il veille au respect et à l’application des accords signés entre le pouvoir et l’opposition d’une part et les partenaires sociaux d’autre part ;

Veille au respect par ses services compétents des règles régissant l’exploitation des ressources naturelles conformément aux normes internationales en la matière et qu’il s’assure que les entreprises s’acquittent de leur responsabilité sociale au plan environnemental par la mise en place de mécanismes fiables prenant en compte les préoccupations des populations riveraines des sites miniers ;

Au Ministère de la Justice, Garde des sceaux pour l’accélération :

des procédures judiciaires pendantes devant les juridictions notamment concernant les violences enregistrées avant, pendant et après l’élection présidentielle du 18 Octobre 2020, les violences liées aux manifestations du FNDC depuis octobre 2019, et l’ouverture du procès relatif au 28 septembre 2009 ;

du processus d’élaboration de la loi sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme ;

des procédures de traitement des cas de violences faites aux femmes et aux filles, particulièrement des violences sexuelles ;

Au Ministère de la Sécurité et de la Protection civile :

de veiller à ce que les agents en charge du maintien de l’ordre public obéissent au respect des lois et règlements en la matière.

de sensibiliser les forces de sécurité sur la responsabilité de l’Etat de protéger tous les citoyens sans distinction et de sanctionner fermement tous comportements déviants.

Au Ministère de l’Unité nationale et de la citoyenneté pour qu’il :

Maintienne le rythme de coopération avec les mécanismes africains et onusiens des droits de l’Homme à travers une présentation régulière de rapports au niveau de ces mécanismes ;

Vulgarise la lettre de politique nationale des droits de l’Homme adoptée par le gouvernement en vue de son appropriation par les citoyens. Les organisations et associations des droits humains s’engagent à accompagner son département dans ce travail de vulgarisation.

Au Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation afin qu’il délivre au mouvement associatif les agréments dont ils ont besoin pour renforcer leur personnalité juridique.

A l’Assemblée nationale pour qu’elle :

Veille à l’adoption et à la promulgation en l’état, des lois de la république tout en s’assurant qu’elles sont respectueuses des droits humains ;

Créer des commissions d’enquêtes parlementaires chaque fois que des violations des droits humains sont commises.

Aux partis politiques pour qu’ils :

Privilégient le dialogue et la concertation ainsi que l’éducation citoyenne de leurs militants. Les conflits sont le naturel de l’Homme, mais ils ne sont dangereux que lorsqu’ils deviennent violents et que les parties en conflit ne parviennent pas à trouver des mécanismes pour les contenir.

A la société civile, pour qu’elle continue à jouer son rôle de veille et d’interpellation pour le respect des droits humains.

Aux partenaires techniques et financiers que nous interpellons ici afin qu’ils ne se lassent pas d’accompagner la Guinée dans sa quête quotidienne d’une société démocratique et respectueuse des droits humains où l’Etat dans sa puissance est soumis au droit. Nous en appelons particulièrement à une meilleure implication de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, des Etats Unis d’Amérique et des Nations Unies dans la crise politique actuelle afin d’éviter que le pays ne retombe dans un autre climat de violence susceptible d’engendrer d’autres violations graves des droits humains.

Conakry, le 10 Décembre 2020

Les ONGs et Associations des droits de l’Homme

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