Le populisme journalistique à l’ère des nouvelles technologies de l’information (Par Alexandre Naïny Bérété)

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Au moment où les fake news se multiplient comme une trainée de poudre, la désinformation et la désintoxication deviennent les règles d’un certain journalisme à l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le besoin d’information des citoyens s’accroissant de plus en plus, à la recherche d’audiences, à l’assaut des likes et à la merci des partages sur les réseaux sociaux, le journalisme guinéen se mue, et diffuse avec lui, un populisme sous la coupole d’une profession qui piétine ses règles élémentaires d’éthique et déontologie. À tel point qu’aujourd’hui dans le microcosme médiatique, malgré la diversité et le pluralisme qui caractérise ce secteur, le citoyen a du mal à tirer le marron du feu, de distinguer le vrai du faux s’agissant des informations publiées.

Dans le contexte guinéen actuel marqué par un débat vif sur une éventuelle constitution où l’opinion publique reste polarisée, le rôle de la presse se devait être de favoriser le débat pour que toutes les opinions, tous les points de vue s’expriment ; de vérifier les informations et de lutter contre la diffusion de fausses nouvelles qui peuvent être à l’origine de troubles sociaux ou de mettre en branle la quiétude sociale.

Le constat malheureux qui se dégage dans ce milieu est que la plus part des journalistes guinéens aujourd’hui transforment leurs propres certitudes en information crédible et s’érigent en porte-parole d’une opinion publique qui n’existe pas. Il me parait impérieux de faire un état des lieux de ce journalisme nouveau qui commence à devenir la règle au lieu d’être l’exception.

Des convictions politiques camouflées sous le sceau d’un journalisme ordinaire

L’exercice du métier de journaliste implique les libertés fondamentales, telles que la liberté de la presse, une des bases de la démocratie. Cette liberté de la presse est consacrée à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, et à l’article 7 alinéa 4 de la constitution guinéenne de 2010.

Compte tenu des garanties constitutionnelles entourant l’exercice de la profession de journaliste, un statut social propre à cette profession est apparu rapidement nécessaireÀ cet égard une Loi régulant la liberté de la presse en l’occurrence la Loi organique L/2010/02/CNT du 22 juin 2010 qui prévoit des restrictions et punit leur atteinte de peine d’amende uniquement outre le droit des parties civiles.

La profession de journaliste n’est pas placée sous la tutelle d’un ordre professionnel comme on peut trouver par exemple chez les avocats le barreau. Cependant, le journaliste doit se soumettre à des règles déontologiques dont les violations peuvent amener des restrictions à l’exercice de la liberté de la presse (cf. articles 29 DUDH (Déclaration universelle des droits de l’homme), 19(3) du PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques), et 9 (2) de la charte Africaine des droits de l’homme et des peuples obligent les États membres à prendre des mesures législatives ou règlementaires pour encadrer l’exercice de ce droit bien précieux.)

Si au début du développement du web-journalisme en guinée après 2010, il y avait une vision assez enthousiaste faisant des nouvelles technologies un puissant ferment du renouvellement du journalisme à l’ancienne. Le constat qui se dégage aujourd’hui dans le web-journalisme guinéen (entendez journalisme par voie électronique, les sites d’informations) est l’anarchie qui s’y installe. Ainsi, tout le monde peut se lever un bon matin pour créer son site internet et raconter des balivernes sans que personne ne s’en émeuve. Même si, la loi citée plus haut, encadre la création et la détention de moyens d’information numérique, aujourd’hui le contrôle de ce secteur échappe totalement à l’autorité publique. De ce fait, c’est un lieu propice à toutes les dérives où les désinformations, la désintoxication se côtoient et se tutoient à souhait.

Le phénomène nouveau que l’on constate au milieu de ce firmament sombre, dans le contexte du débat sur un éventuel changement de constitution, est la diffusion des convictions personnelles de la part de beaucoup de journalistes à la place des informations vérifiées et vérifiables. Au nom donc d’un journalisme ordinaire, des personnes se cachant derrière le masque de journaliste, mènent de véritables activités politiques et idéologiques.

Dans certains médias aujourd’hui, surtout les sites internet, on peut voir ces médias faire des affirmations telles ‘’le peuple est d’accord pour une nouvelle constitution’’ ou pour les opposants à un changement de constitution, qui semblent nombreux dans cette presse digitalisée, des informations sur la base d’aucune donnée fixe et vérifiable, avancer « les guinéens sont opposés à une nouvelle constitution ». Certains sont mêmes allés jusqu’à transformer leur page Facebook en des tribunes anti-nouvelle constitution en publiant des messages sans rapport avec aucun acteur opposé à une nouvelle constitution. Les raisons d’un tel comportement seront expliquées dans la deuxième partie de cette analyse.

La presse guinéenne, en tout cas dans sa version électronique, ne semble pas assumée son positionnement. Ces journalistes brandissent toujours, quand ils sont interpelés par les esprits avisés, leur indépendance et leur éthique. Cependant, il n’y a pas de honte à affirmer que l’on est un média ou un journaliste proche de l’opposition ou de la mouvance présidentielle.

Dans certains pays comme la France, il y a une certaine presse proche de la gauche (Libération, l’humanité, Marianne, etc.) ou de la droite comme le Figaro, Valeurs Actuelles. Toutes ces presses assument leur ligne éditoriale mais ne transforment jamais leur conviction en réalités. Les informations publiées sont toujours basées sur des données chiffrées (sondage, statistiques, etc.).

On pourrait ainsi dire que pour le cas de la Guinée où les sondages ne sont pas fréquents, les journalistes font avec cette dure réalité. Mais cela ne doit pas pousser les journalistes de publier du n’ importe où de s’arroger le mérite de parler au nom du peuple. Le faire, c’est tout simplement une faute professionnelle.

La recherche d’audience, point d’ogre de ce journalisme louvoyant

Dans un long réquisitoire publié en juillet 2016 dans le Guardian (2e quotidien britannique) largement commenté dans la presse française, Katharine Viner rédactrice en chef du journal dresse un état des lieux piteux du journalisme actuel et déclarait à cet effet, je lui cite : « Il semblait qu’on n’attendait plus désormais des journalistes de croire à la véracité de leurs propres histoires, ni, manifestement, d’en fournir des preuves. Au lieu de cela, il incombait au lecteur – qui ne connaissait même pas l’identité de la source – de se faire son propre avis. Mais sur la base de quoi ? Ses tripes, son intuition, son humeur ? ».

Le journalisme guinéen à l’ère du numérique n’échappe pas à ce constat sombre. Dans le débat actuel agité sur l’éventualité d’une constitution, la presse guinéenne tombe dans la surenchère et dans l’alarmisme absolu dans la diffusion des informations. On écrit et on diffuse le scénario apocalyptique selon lequel une nouvelle constitution sonnera le glas de l’État guinéen, aller savoir pourquoi…au lieu de laisser ce travail à la classe politique et à la société civile, la presse guinéenne semble être le tremplin parfait, ce qui fait d’ailleurs que les opposants guinéens (classe politique) ne se bougent pas beaucoup trop sur ce sujet. Parce que tout simplement, la presse joue ce rôle à leur place, c’est dire l’état du journalisme actuel dans notre pays.

L’exemple que je prends pour illustrer mon propos, est la diffusion large dans la presse en ligne après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, de l’information selon laquelle le gouvernement guinéen aurait promis 2 millions d’euros d’aide. Cette information diffusée par un site canular ivoirien a été largement relayée dans la presse guinéenne, à tel point que le gouvernement était obligé de faire un communiqué pour démentir l’information.

L’information n’est plus vérifiée et les internautes aussi bien que la presse s’en donnent à cœur joie pour relayer la rumeur. Quand des preuves sont demandées aux sites internet, ils disent simplement n’en avoir aucune, ajoutant qu’« il revient aux gens de décider s’ils donnent de la crédibilité ou non à l’information ». C’est une façon cynique qui prétend réclamer un esprit critique du lecteur en escamotant toute responsabilité journalistique. Si le buzz est là, qu’importe la vérité ?

Et Katharine Viner s’interrogeant sur la profession de journaliste fait remarquer ceci :« Quand un fait commence à ressembler à ce que vous sentez pouvoir être vrai, il devient très difficile, pour n’importe qui, de dire la différence entre les faits qui sont véridiques et les “faits” qui ne le sont pas. ». Alors quelles sont les raisons de ce populisme à la sauce journalistique ?

La réponse se trouve dans la quête permanente d’audiences, de likes, de cliques et de partage sur les réseaux sociaux ou du mieux paraitre au sein d’une certaine opinion. Chaque média, chaque organe de presse veut être le premier sur les informations en direction du public, et de ce fait, les informations ne sont plus vérifiées, la recherche du buzz et du ‘’premier’’ à avoir diffusé la nouvelle font que les journalistes guinéens n’en ont que faire de la déontologie et des bonnes pratiques journalistiques.

Il faut aussi dire que ces intox sont démultipliées par les algorithmes de Facebook ou de Google, qui ciblent un contenu au détriment d’un autre en fonction de nos précédentes recherches. Ainsi, les biais informatifs deviennent de plus en plus retors. On passe à une information qui prend de la valeur par sa quantité plus que sa qualité : ça se comptera en likes et en retweets, en coups de cœur et en émotions, plus qu’en réflexion et en interrogations. C’est la mise en place d’une logique perverse, où l’information arrive par voie d’associations plus que par objectivité.

Pour terminer, si ce tableau qui vient d’être dressé n’est pas du tout reluisant pour la presse guinéenne, il faut dire qu’il est avant tout une invite à la reconquête d’un journalisme sérieux, d’intérêt public et exigeant, et qui promeut en ligne un espace public et des contenus de qualité.

Par Alexandre Naïny BERETE étudiant en master à la faculté de Nantes.

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